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LA RÉVOLUTION


hors d’eux-mêmes. — D’autant plus qu’ils ne s’attendaient point à une bataille, mais à une fête, à quelque idylle grandiose et délicieuse, où tous, la main dans la main, s’attendriraient autour du trône et sauveraient la patrie en s’embrassant. C’est Necker lui-même qui a arrangé la salle de leurs séances en manière de théâtre[1] : « Il ne voulait se figurer les assemblées des États que comme un spectacle paisible, imposant, solennel, auguste, dont le peuple aurait à jouir » ; et, quand tout de suite la pastorale tourne au drame, il est si alarmé, qu’il pense à supposer un éboulement, à faire crouler pendant la nuit la charpente de l’édifice. — Au moment où se réunissent les États Généraux, tous sont ravis : ils croient entrer dans la terre promise. Pendant la procession du 4 mai, « des larmes de joie, dit le marquis de Ferrières, coulaient de mes yeux… Plongé dans la plus douce extase,… je voyais la France appuyée sur la religion » nous exhorter à la concorde. « Ces cérémonies saintes, ces chants, ces prêtres revêtus de l’habit du sacrifice, ces parfums, ce dais, ce soleil rayonnant de pierreries… Je me rappelais les paroles du prophète… Mon Dieu, ma patrie, mes concitoyens étaient devenus moi-même. » — Vingt fois, dans le cours des séances, cette sensibilité fait explosion et emporte un décret auquel on ne songeait pas. « Parfois, écrit l’ambassadeur américain[2],

  1. Marmontel, liv. XIII, 237. — Malouet, I, 261. — Ferrières, I, 19.
  2. Gouverneur Morris, 24 janvier 1790. — De même (Ferrières, I, 71) le décret sur l’abolition de la noblesse. Il n’était pas sur l’ordre du jour et fut emporte par surprise.