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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


« Nous le jurons ! » Pour comble, le président, un jurisconsulte grave, Treilhard, répond à ces gamins sans rire, en style pareil, avec métaphores, prosopopées et tout l’apparat d’un pédant qui trône sur son estrade : « Vous méritez de partager la gloire des fondateurs de la liberté, puisque vous êtes prêts à répandre votre sang pour elle » Applaudissements de la gauche et des galeries, décret pour ordonner l’impression des discours du président et des enfants ; probablement ils voudraient bien aller jouer, mais, bon gré, mal gré, on leur accorde ou on leur fait subir les honneurs de la séance[1]. — Voilà les ficelles d’impresario et de cuistre par lesquelles on remue ici tous les pantins politiques ; c’est ainsi que la sensibilité, une fois reconnue comme une puissance légitime, devient un instrument d’intrigue et de contrainte. Pour avoir accepté les exhibitions théâtrales lorsqu’elles étaient sincères et sérieuses, l’Assemblée les subit lorsqu’elles sont factices et bouffonnes. Dans ce grand banquet national qu’elle croyait conduire, et auquel, portes ouvertes, elle appelait toute la France, elle s’est d’abord enivrée d’un vin noble ; mais elle a trinqué avec la populace, et, par degrés, sous la pression de ses convives, elle est descendue jusqu’aux boissons frelatées et brûlantes, jusqu’à l’ivresse malsaine et grotesque, d’autant plus grotesque et malsaine qu’elle persiste à se prendre pour la raison.

  1. Buchez et Roux, X, 118 (16 juin 1791).