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LA RÉVOLUTION

II

Si du moins, dans les intervalles lucides, la raison reprenait son empire ! Mais, pour qu’elle gouverne, il faut d’abord qu’elle existe, et dans aucune Assemblée française, sauf dans les deux suivantes, il n’y a eu moins de têtes politiques. — Sans doute, à la rigueur et en cherchant bien, on pouvait en 1789 trouver dans la France cinq ou six cents hommes d’expérience : d’abord les intendants et les commandants militaires de chaque province ; ensuite les prélats administrateurs de grands diocèses, les parlementaires qui, dans le ressort de leurs cours, avaient, outre le pouvoir judiciaire, une portion du pouvoir administratif ; enfin les principaux membres des assemblées provinciales, tous gens de sens et de poids, ayant manié les hommes et les affaires, presque tous humains, libéraux, modérés, capables de comprendre la difficulté aussi bien que la nécessité d’une grande réforme : en effet, comparée au bavardage doctrinal de l’Assemblée, leur correspondance pleine de faits, prévoyante et précise, fait le plus étrange contraste. — Mais la plupart de ces lumières restent sous le boisseau ; quelques-unes seulement arrivent à l’Assemblée ; elles y brûlent sans éclairer et bientôt elles sont soufflées par un vent d’orage. Le vieux Machault n’est point ici, ni Malesherbes ; point d’anciens ministres, ni de maréchaux de France. Pas un intendant, sauf Malouet, et, par la supériorité de celui-ci, l’homme le plus judicieux de l’As-