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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


avec indifférence ou repoussés avec dédain. — Non seulement nos politiques nouveaux sont incapables, mais ils se croient capables, et leur insuffisance est aggravée par leur infatuation. « Je disais souvent, écrit Dumont[1], que, si l’on eût arrêté au hasard cent personnes dans les rues de Londres et cent dans les rues de Paris, et qu’on leur eût proposé de se charger du gouvernement, il y en aurait eu quatre-vingt-dix-neuf qui auraient accepté à Paris et quatre-vingt-dix-neuf qui auraient refusé à Londres… Un Français se croit en état de faire tête à toutes les difficultés avec un peu d’esprit ; Mirabeau se faisait rapporteur du Comité des Mines, sans avoir la plus légère teinture de cette science. » Bref, la plupart abordent la politique à peu près « comme ce gentilhomme à qui l’on demandait s’il savait jouer du clavecin et qui répondait : Je ne saurais vous dire, je n’ai jamais essayé ; mais je vais voir ». — « L’Assemblée avait une si haute opinion d’elle-même, surtout le côté gauche, qu’elle se serait volontiers chargée de faire le Code de toutes les nations… On n’avait jamais vu tant d’hommes s’imaginer qu’ils étaient tous législateurs et qu’ils étaient là pour réparer toutes les fautes du passé, remédier à toutes les erreurs de l’esprit humain et assurer le bonheur des siècles futurs. Le doute n’avait point de place en leur esprit, et l’infaillibilité présidait toujours à leurs décrets contradictoires. » — C’est qu’ils ont une théorie, et qu’à leur avis cette théorie dispense des

  1. Dumont, 33, 38, 62.