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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/212

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LA RÉVOLUTION


laires et inconséquents. En effet, presque tous ceux-ci, défenseurs de l’ancien régime ou partisans de la monarchie limitée, sont imbus comme lui de principes abstraits et de politique spéculative. Les nobles les plus récalcitrants ont revendiqué dans leurs cahiers les droits de l’homme, et Mounier, le principal adversaire des démagogues, conduisait les Communes lorsqu’elles se sont déclarées Assemblée nationale[1]. Cela suffit, ils sont engagés dans le défilé étroit qui aboutit aux précipices. Au commencement, ils ne s’en doutaient pas ; mais un pas entraîne l’autre ; bon gré, mal gré, ils avancent ou sont poussés. Quand ils voient l’abîme, il est trop tard ; ils y sont acculés par leurs propres concessions et par la logique ; ils ne peuvent que s’exclamer, s’indigner ; ayant lâché leur point d’appui, ils ne trouvent plus de point d’arrêt. — Il y a dans les idées générales une puissance terrible, surtout lorsqu’elles sont simples et font appel à la passion. Rien de plus simple que celles-ci, puisqu’elles se réduisent à l’axiome qui pose les droits de l’homme et y subordonnent toutes les institutions anciennes ou nouvelles. Rien de plus propre à enflammer les cœurs, puisque la doctrine enrôle tout l’orgueil humain à son service, et consacre, sous le nom de justice, tous les besoins d’indépendance et de domination. Considérez les trois quarts des députés, esprits neufs et

  1. Léonce de Lavergne, Les assemblées provinciales, 384. Délibération des États du Dauphiné, rédigée par Mounier et signée par deux cents gentilshommes (juillet 1788) : « Les droits des hommes dérivent de la nature seule et sont indépendants de leurs conventions. »