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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/22

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LA RÉVOLUTION


ment nourrir les soldats ; le ministre expédie deux lettres coup sur coup pour faire couper vingt mille setiers de seigle avant la récolte[1]. Aussi bien, en pleine paix, Paris semble une ville affamée, rationnée à la fin d’un long siège, et la disette ne sera pas plus grande ni la nourriture pire en décembre 1870 qu’en juillet 1789.

« Plus on approchait du 14 juillet, dit un témoin oculaire[2], plus la disette augmentait. Chaque boutique de boulanger était environnée d’une foule à qui l’on distribuait le pain avec la plus grande parcimonie… Ce pain était en général noirâtre, terreux, amer, donnait des inflammations à la gorge et causait des douleurs d’entrailles… J’ai vu, à l’École Militaire et dans d’autres dépôts, des farines qui étaient d’une qualité détestable ; j’en ai vu des monceaux d’une couleur jaune, d’une odeur infecte, et qui formaient des masses tellement durcies, qu’il fallait les frapper à coups redoublés de hache pour en détacher des portions. Moi-même, rebuté des difficultés que j’éprouvais à me procurer ce malheureux pain, et dégoûté de celui qu’on m’offrait aux tables d’hôte, je renonçai absolument à cette nourriture. Le soir, je me rendais au café du Caveau, où, heureusement, on avait l’attention

  1. Buchez et Roux, ib. : « Il est très fâcheux, écrit le marquis d’Autichamp, d’être obligé de couper les récoltes pendantes et prêtes à cueillir ; mais il est dangereux de laisser les troupes mourir de faim. »
  2. Montjoie, ib., ch. xxxix, V, 37. — E. et J. de Goncourt, La société française pendant la Révolution, 53. — Déposition de Maillard (Enquête criminelle du Châtelet sur les événements des 5 et 6 octobre).