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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


pérament propre, leurs aptitudes, leurs inclinations, leur religion, leur histoire, toute une structure mentale et morale, structure héréditaire et profonde, léguée par la race primitive, et dans laquelle chaque grand événement, chaque période politique ou littéraire, est venue, depuis vingt siècles, apporter un accroissement, une métamorphose ou un pli. Tel un arbre d’espèce unique, dont le tronc, épaissi par l’âge, garde dans ses couches superposées, dans ses nœuds, dans ses courbures, dans son branchage, tous les dépôts de sa sève et l’empreinte des innombrables saisons qu’il a traversées. Appliquée à un tel organisme, la définition philosophique, si banale et si vague, n’est qu’une étiquette puérile et ne nous apprend rien. — D’autant plus que, sur ce fond tellement compliqué et élaboré, se dessinent des diversités et des inégalités extrêmes, toutes celles d’âge, d’éducation, de croyance, de classe, de fortune ; et il faut en tenir compte, car elles contribuent à faire les intérêts, les passions et les volontés. Pour ne prendre que les plus grosses, il est clair, d’après la durée moyenne de la vie[1], que la moitié de la population se compose d’enfants ; en outre, une moitié des adultes se compose de femmes. Sur vingt habitants, dix-huit sont catholiques, dont seize sont croyants, au moins par habitude et tradition. Sur les vingt-six millions de Français, vingt-cinq millions ne lisent pas ; c’est tout au plus si un million lisent ; et, en matière politique, cinq

  1. Selon Voltaire (l’Homme aux quarante écus), la durée moyenne de la vie n’était que de vingt-trois ans.