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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


vent le restituer au propriétaire légitime. — N’objectez pas qu’ils ont acquis à deniers comptants et de bonne foi : ils devaient se dire auparavant que l’homme et sa liberté ne sont pas des choses de commerce, et c’est justement que leur injuste propriété périra entre leurs mains[1]. Que l’État qui est intervenu au marché en soit le garant responsable, personne n’y songe. L’Assemblée n’a qu’un scrupule ; ses légistes et Merlin son rapporteur ont dû se rendre à l’évidence : ils ont manié des milliers de titres anciens et nouveaux ; par la pratique courante, ils savent qu’en beaucoup de cas le seigneur n’est qu’un bailleur ordinaire. Dans tous ces cas, s’il perçoit, c’est en qualité de simple particulier, en vertu d’un contrat d’échange, parce qu’il a donné à bail perpétuel telle portion de sa terre, et il ne l’a donnée que moyennant telle redevance annuelle en argent, fruits, et services, moyennant telle autre redevance éventuelle payable par le fermier à chaque transmission du bail. Impossible d’abolir sans rachat ces deux redevances ; si on le faisait, il faudrait exproprier, au profit des fer-

  1. Moniteur, séance du 6 août 1789, discours de Duport : « Tout ce qui est injuste ne peut subsister. Tout remplacement à ces droits injustes ne peut également subsister. » — Séance du 27 février 1790. M. Populus : « Comme l’esclavage ne pouvait résulter d’un contrat légitime, parce que la liberté ne peut être aliénée, vous avez aboli sans indemnité la mainmorte personnelle. » — Instruction et décret des 15-19 juin 1791 : « L’Assemblée nationale a reconnu avec le plus grand éclat qu’un homme n’avait jamais pu devenir propriétaire d’un autre homme, et qu’en conséquence les droits que l’un s’était arrogés sur la personne de l’autre n’avaient jamais pu devenir une propriété du premier. » Cf. les divers rapports de Merlin au Comité de féodalité et à l’Assemblée nationale.