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LA RÉVOLUTION


miers, tous les propriétaires de France. C’est pourquoi l’Assemblée distingue dans les droits féodaux. — D’une part, elle abolit sans indemnité tous ceux que le seigneur percevait à titre de souverain local, ancien propriétaire des personnes, détenteur des pouvoirs publics, tous ceux que le censitaire payait à titre de serf, mainmortable, ancien vassal ou sujet. D’autre part, elle maintient et déclare rachetables à tel ou tel taux tous ceux que le seigneur perçoit à titre de propriétaire foncier et de bailleur simple, tous ceux que le censitaire paye à titre de contractant libre, d’ancien acheteur, locataire, fermier ou concessionnaire de fonds. — Par cette division, elle croit avoir respecté la propriété légitime en renversant la propriété illégitime, et, dans la créance féodale, séparé l’ivraie du grain[1].

Mais, par le principe, la rédaction et les lacunes de sa loi, elle les condamne à une destruction commune, et l’incendie auquel elle jette l’ivraie va forcément dévorer le grain. — En effet, l’un et l’autre sont dans la même gerbe. Si c’est par l’épée que le seigneur s’est jadis assujetti les hommes, c’est aussi par l’épée qu’il s’est jadis approprié la terre. Si l’assujettissement des personnes est nul, comme entaché originellement de violence, l’usurpation du sol est nulle, comme entachée originellement de violence. Si la proscription et la garantie de l’État n’ont pu légitimer le premier brigandage, elles n’ont pu légitimer le second, et, puis-

  1. Duvergier, Collection des lois et décrets. Lois des 4-11 août 1789, des 15-28 mars 1790, des 3-9 mai 1790 des 15-19 juin 1791.