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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/255

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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


créance féodale cesse d’être perçue. Les droits maintenus ne sont pas plus acquittés que les droits supprimés. Des communautés entières viennent signifier au seigneur qu’on ne lui payera plus aucune redevance. D’autres, le sabre à la main, l’obligent à leur donner décharge. D’autres, pour plus de sûreté, envahissent son chartrier et jettent ses titres au feu[1]. Nulle part la force publique ne protège son droit légal. Les huissiers n’osent instrumenter, les tribunaux n’osent juger, les corps administratifs n’osent décréter en sa faveur. Il est dépouillé par la connivence, par l’insouciance, par l’impuissance de toutes les autorités qui devraient le détendre. Il est livré aux paysans qui abattent ses bois sous prétexte que jadis ils appartenaient à la commune, qui s’emparent de son moulin, de son pressoir et de son four sous prétexte que les banalités sont supprimées[2]. La plupart des gentilshommes de province sont ruinés sans ressource et n’ont plus même le pain quotidien ; car tout leur revenu consistait en droits seigneuriaux et en redevances perçues sur les fonds qu’ils avaient loués à bail perpétuel ; or, de par la loi, la moitié de ce revenu cesse d’être payée, et l’autre moitié cesse d’être payée en dépit de la loi. Cent vingt-trois millions de revenu, deux milliards et demi de capital en monnaie du temps, le double au moins en monnaie d’aujourd’hui,

  1. Voyez plus loin, t. IV, livre III, ch. ii, § 4 et ch. iii.
  2. Moniteur, séance du 2 mars 1790. Discours de Merlin : « On fait croire aux paysans que la destruction des banalités emporte pour le seigneur la perte des moulins, pressoirs et fours banaux : les paysans s’en croient propriétaires. »


  la révolution. i.
T. III. — 16