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LA RÉVOLUTION


« vœux et ses réclamations. » Ainsi la chose est bien vraie, tout à fait certaine. On les invite à parler, on les fait venir, on les consulte, on veut les soulager ; désormais leur misère sera moindre, des temps meilleurs vont commencer. Ils n’en savent pas davantage ; plusieurs mois après, en juillet[1], c’est tout ce que peut répondre une paysanne à Arthur Young : « On lui a dit qu’il y a des riches qui veulent faire quelque chose pour les malheureux de sa classe », mais qui, quoi, et comment, elle l’ignore : cela est trop compliqué, hors de la portée du cerveau engourdi et machinal. — Une seule pensée s’y dégage, l’espérance d’un soulagement soudain, la persuasion qu’on y a droit, la résolution d’y aider par tous les moyens, par suite l’attente anxieuse, l’élan tout prêt, le raidissement de la volonté tendue qui n’attend qu’une occasion pour se débander et pour lancer l’action, comme une flèche irrésistible, vers le but inconnu qui se dévoilera tout d’un coup. Ce but, tout d’un coup, la faim le leur désigne : il faut qu’il y ait du blé sur le marché ; il faut que les fermiers et les propriétaires en apportent ; il ne faut pas que les gros acheteurs, gouvernement ou particuliers, le transportent ailleurs ; il faut qu’il soit à bas prix, qu’on le taxe, que le boulanger le donne à deux sous la livre ; il faut que les grains, la farine, le vin, le sel, les denrées, ne payent plus de droits ; il faut qu’il n’y ait plus de droits, ni redevances seigneuriales, ni dîmes ecclé-

  1. Arthur Young, 12 juillet 1789 (en Champagne).