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LA RÉVOLUTION


annonce des pillages de grains, « de violentes et sanglantes mêlées où beaucoup d’hommes, des deux côtés, ont péri », dans toute la province, à Caen, Saint-Lô, Mortain, Granville, Évreux, Bernay, Pont-Audemer, Elbeuf, Louviers, et encore en d’autres endroits. — Le 20 avril, le baron de Besenval, commandant militaire des provinces du Centre, écrit : « Je renouvelle à M. Necker un tableau de l’affreuse situation de la Touraine et de l’Orléanais ; chaque lettre que je reçois de ces deux provinces est le détail de trois ou quatre émeutes à grand’peine contenues par les troupes et la maréchaussée[1] ». — Et, dans toute l’étendue du royaume, le spectacle est pareil.

D’ordinaire, et comme il est naturel, les femmes sont en tête ; ce sont elles qui, à Montlhéry, ont éventré les sacs à coups de ciseaux. Chaque semaine, le jour du marché, en apprenant que la miche de pain est augmentée de trois sous, de quatre sous, de sept sous, elles crient et s’indignent : à ce taux, avec le mince salaire de leurs hommes et quand l’ouvrage manque[2], comment nourrir une famille ? On s’attroupe autour des sacs et aux portes des boulangers ; au milieu des vociférations et des injures, il se fait une poussée dans la foule ; le propriétaire ou marchand est bousculé, renversé, la boutique est envahie, la denrée est aux mains des acheteurs et des affamés ; chacun tire à soi, paye ou ne paye pas, et se

  1. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, VII, 508. — Archives nationales, H, 1453.
  2. Arthur Young, 29 juin (à Nangis).