Aller au contenu

Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
L’ANARCHIE SPONTANÉE


toute la paroisse, battent la plaine, tendent des collets, détruisent les terriers. « Le bruit s’est répandu que le gouvernement, instruit du tort que le gibier faisait aux cultivateurs, a permis de le détruire… Et véritablement les lièvres ravageaient à peu près le cinquième de la récolte. » — On arrête d’abord neuf de ces nouveaux braconniers ; mais on les relâche « à cause des circonstances », et là-dessus, pendant deux mois, c’est un massacre sur les terres du prince de Conti, de l’ambassadeur Mercy d’Argenteau : à défaut de pain, ils mangent du gibier. — Par un entraînement naturel, avec les abus de la propriété, ils attaquent la propriété elle-même. Près de Saint-Denis, les bois de l’abbaye sont dévastés ; « les fermiers des environs en enlèvent des voitures de quatre et cinq chevaux » ; les villageois de Ville-Parisis, Tremblay, Vert-Galant, Villepinte en font commerce public et menacent les gardes de les assommer : au 15 juin le dégât est déjà estimé plus de 60 000 livres. — Peu importe que le propriétaire ait été bienfaisant, comme M. de Talaru[1] qui, l’hiver précédent, dans sa terre d’Issy, a nourri les pauvres. Les paysans détruisent la digue qui conduisait l’eau à son moulin banal ; condamnés par le parlement à la rétablir, ils déclarent que, non seulement ils n’obéiront pas, mais que, si M. de Talaru la relève, ils viendront, au nombre de trois cents et bien armés, la démolir une seconde fois.

  1. Montjoie, 2e partie, ch. xxi, 14 (1re semaine de juin). Montjoie est homme de parti ; mais il date et précise, et son témoignage, quand il est confirmé d’ailleurs, mérite d’être admis.