Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
L’ANARCHIE SPONTANÉE


geait. Songez à l’agrandissement extraordinaire et rapide de Paris, à la multitude d’ouvriers qu’y ont amenés les démolitions et les récentes bâtisses, à tous les gens de métier que la stagnation des industries, l’élévation des octrois, la rigueur de l’hiver, la cherté du pain réduisent à l’extrême détresse. Rappelez-vous qu’en 1786 on y comptait « deux cent mille individus qui n’avaient pas en propriété absolue la valeur intrinsèque de cinquante écus », que de temps immémorial ils sont en guerre avec le guet, qu’en 1789 il y a cent vingt mille indigents dans la capitale, que, pour leur donner du travail, il a fallu établir des ateliers nationaux, « qu’on en tient douze mille inutilement occupés à creuser la butte Montmartre et payés vingt sous par jour, que les ports et les quais en sont couverts, que l’Hôtel de Ville en est investi, qu’ils semblent autour du Palais insulter à l’inaction de la justice désarmée », que chaque jour ils s’aigrissent et s’exaltent à la porte du boulanger où, après une longue attente, ils ne sont pas sûrs d’obtenir du pain. Vous sentirez d’avance avec quelle fureur et quelle force ils fonceront sur l’obstacle que, du doigt, on leur aura montré.

II

Cet obstacle, depuis deux ans on le leur montre : c’est le ministère, c’est la cour, c’est le gouvernement, c’est l’ancien régime. Quiconque proteste contre lui en faveur du peuple est sûr d’être suivi aussi loin et plus loin