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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/57

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L’ANARCHIE SPONTANÉE


indigents, toute la multitude qui, courbée sous le souci du pain quotidien, n’avait jamais levé les yeux pour regarder le grand ordre social dont elle est la plus basse assise et dont elle porte tout le poids.

III

Tout à coup elle fait un mouvement, et l’échafaudage superposé chancelle. C’est un mouvement de brute exaspérée par le besoin et affolée par le soupçon. — A-t-elle été piquée en dessous par des mains soudoyées qui se cachent ? Les contemporains en sont persuadés[1], et la chose est probable. Mais le bruit qu’on fait autour de la bête souffrante suffirait pour la rendre ombrageuse et pour expliquer son sursaut. — Le 21 avril, les assemblées électorales ont commencé à Paris ; il y en a dans chaque quartier, pour le clergé, pour la noblesse, pour le Tiers-État. Tous les jours, pendant près d’un mois, on voit dans les rues passer des files d’électeurs. Ceux du premier degré continuent à se réunir après avoir nommé ceux du second ; il faut bien que la nation surveille ses mandataires et maintienne ses droits imprescriptibles ; si elle en a délégué l’usage, elle en a conservé la propriété, et se réserve d’intervenir quand il lui plaira. Une pareille prétention fait vite son chemin, et tout de suite, après le tiers-état des assemblées, elle

  1. Marmontel, II, 249. — Montjoie, 1re partie, 92. — Besenval, I, 387 : « Ces espions ajoutaient qu’on voyait des gens exciter le tumulte et même distribuer de l’argent. »