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LA RÉVOLUTION


lons ordinaires qui sont la misère[1] et le besoin de licence, ils ont un aiguillon nouveau, l’idée d’une cause à défendre, la persuasion où ils sont qu’ils combattent pour le Tiers-État ». Dans une pareille cause, chacun doit s’aider et tous doivent s’entr’aider : « On serait perdu, disait l’un d’eux, si l’on ne se soutenait pas les uns les autres ». Forts de cette croyance, ils députent jusqu’à trois fois dans le faubourg Saint-Marceau pour y faire des recrues, et sur leur passage, de force ou de gré, le gourdin levé, ils enrôlent tout ce qu’ils rencontrent. D’autres, à la porte Saint-Antoine, arrêtent les gens qui reviennent des courses, leur demandent s’ils sont pour la noblesse ou pour le Tiers, forcent les femmes à descendre de voiture et à crier vive le Tiers-État[2]. Cependant, la foule grossit devant la maison Réveillon ; les trente hommes de garde ne peuvent résister ; la maison est envahie et saccagée de fond en comble ; meubles, provisions, linge, registres, voitures, et jusqu’aux volailles de la basse-cour, tout est jeté dans des brasiers allumés en trois endroits différents ; cinq cents louis en or, l’argent comptant, l’argenterie sont

  1. Lettre au roi par un habitant du faubourg Saint-Antoine : « N’en doutez point, sire : c’est à la cherté du pain qu’on doit attribuer nos derniers malheurs. »
  2. Dampmartin, Événements qui se sont passés sous mes yeux, etc., I, 25 : « Nous revînmes sur nos pas, et nous fûmes arrêtés par de petites bandes de mauvais sujets, qui nous proposaient avec insolence de crier : Vive Necker ! vive le Tiers-État ! » Ses deux compagnons étaient chevaliers de Saint-Louis, et leur croix semblait un objet de « haine croissante ». — « Elle excita de grossiers murmures, même de la part de gens qui paraissaient au-dessus des fomentateurs. »