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L’ANARCHIE SPONTANÉE


volés. Plusieurs se répandent dans les caves, boivent au hasard des liqueurs et des vernis, jusqu’à tomber ivres-morts ou à expirer dans les convulsions. Contre cette cohue hurlante[1], on voit déboucher le guet à pied et à cheval, cent cavaliers de Royal-Cravate, les gardes françaises et plus tard les gardes suisses. « Tuiles et cheminées pleuvent sur les soldats », qui font feu par quatre files. Pendant plusieurs heures, les mutins, ivres de vin et de fureur, se défendent en désespérés ; plus de deux cents sont tués, près de trois cents blessés, on n’en vient à bout qu’avec le canon, et les attroupements se prolongent jusque bien avant dans la nuit. — Vers huit heures du soir, rue Vieille-du-Temple, la garde de Paris fait encore des charges pour protéger des portes que veulent forcer les malfaiteurs. À onze heures et demie du soir, ils en forcent deux rue de Saintonge et rue de Bretagne, celle d’un charcutier et celle d’un boulanger. Jusque dans ce dernier flot du soulèvement, qui s’apaise, on distingue les éléments qui ont fait l’émeute et qui vont faire la Révolution. — Il y a des affamés ; rue de Bretagne, la troupe qui dévalise le boulanger apporte les

  1. Dampmartin, Événements qui se sont passés sous mes yeux, I, 25 : « Je dînais ce même jour à l’Hôtel d’Ecquevilly, dans la rue Saint-Louis. » — Il sort à pied et assiste à l’émeute. « 1500 à 1600 misérables, excréments de la nation, dégradés par des vices honteux, couverts de lambeaux, regorgeant d’eau-de-vie, offraient le spectacle le plus dégoûtant et le plus révoltant. Plus de cent mille personnes de tout sexe, de tout âge de tout état, gênaient beaucoup les troupes dans leurs opérations. Bientôt le feu commença, le sang ruissela ; deux citoyens honnêtes furent blessés près de moi. »