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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« salle fût interdite, dit Bailly, il y avait toujours plus de six cents spectateurs[1] » ; non pas respectueux, muets, mais actifs, bruyants, mêlés aux députés, levant la main aux motions, en tout cas prenant part aux délibérations par leurs applaudissements et par leurs huées, assemblée collatérale et qui souvent impose à l’autre sa volonté. Ils notent et prennent par écrit les noms des opposants ; ces noms, transmis aux porte-chaises qui se tiennent à l’entrée de la salle, et de là jusqu’à la populace qui attend les députés à la sortie[2], sont désormais des noms d’ennemis publics. Des listes en sont dressées, imprimées, et le soir, au Palais-Royal, deviennent des listes de proscription. — C’est sous cette pression grossière que passent plusieurs décrets, entre autres celui par lequel les Communes se déclarent Assemblée Nationale et prennent le pouvoir suprême. La veille, Malouet avait proposé de vérifier au préalable de quel côté était la majorité ; en un instant tous les Non, au nombre de plus de trois cents, se rangent autour de lui ; là-dessus, « un homme s’élance des galeries, fond sur lui et le

  1. Bailly, I, 179 et 227. — Mounier, Recherche sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres, I, 289, 291 ; II, 61. — Malouet, I, 299 ; II, 10. — Actes des Apôtres, V, 43 (Lettre de M. de Guilhermy du 31 juillet 1790). — Marmontel, I, 28 : « Le peuple venait jusque dans l’Assemblée encourager ses partisans, choisir et marquer ses victimes, et rendre effrayante pour les faibles la redoutable épreuve de l’appel nominal. »
  2. Lettres manuscrites de M. Boullé, député, aux officiers municipaux de Pontivy, du 1er  mai 1789 au 4 septembre 1790 (communiquées par M. Rosenzweig, archiviste à Vannes), 16 juin 1789 : « La foule qui entoure la salle… était, ces jours-ci, de deux ou trois mille personnes. »