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LA RÉVOLUTION


liers et fonctionnaires, le gouvernement lui-même, tout est sous la main de la multitude. « Dès ce moment, dit un député[1], il n’y eut plus de liberté, même dans l’Assemblée nationale… La France… se tut devant trente factieux. L’Assemblée devint entre leurs mains un instrument passif qu’ils firent servir à l’exécution de leurs projets. » — Eux non plus ils ne conduisent pas, quoiqu’ils semblent conduire. La brute énorme qui a pris le mors aux dents le garde, et ses ruades deviennent plus fortes. Car non seulement les deux aiguillons qui l’ont effarouchée, je veux dire le besoin d’innovation et la disette quotidienne, continuent à la piquer, mais les frelons politiques, multipliés par milliers, bourdonnent à ses oreilles, et la licence dont elle jouit pour la première fois, jointe aux applaudissements dont on la comble, la précipite chaque jour plus violemment. On glorifie l’insurrection ; pas un assassin n’est recherché ; c’est contre la conspiration des ministres que l’Assemblée institue une enquête. On décerne des récompenses aux vainqueurs de la Bastille ; on déclare qu’ils ont sauvé la France. On célèbre le peuple, son grand sens, sa magnanimité, sa justice. On adore le nouveau souverain ; on lui répète en public officiellement, dans les journaux, à l’Assemblée, qu’il a toutes les vertus, tous les droits, tous les pouvoirs. S’il a versé le sang, c’est par mégarde, sur provocation, et toujours avec un instinct infaillible. D’ailleurs, dit un député, « ce sang était-il si

  1. Ferrières, I, 168.