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LA RÉVOLUTION

IV

Quand la force publique manque pour protéger les propriétés publiques, elle manque aussi pour protéger les propriétés privées ; car les mêmes convoitises et les mêmes besoins s’attaquent aux unes et aux autres. Que l’on doive à l’État ou à un particulier, la tentation de ne pas payer est toujours égale. Dans les deux cas, il suffit de trouver un prétexte, pour nier la dette, et, pour trouver ce prétexte, la cupidité du tenancier vaut l’égoïsme du contribuable. « Puisque le régime féodal est aboli, il faut que rien n’en subsiste ; plus de créances seigneuriales. Si là-bas, à Paris, l’Assemblée en a maintenu plusieurs, c’est par mégarde ou par corruption ; nous apprendrons bientôt qu’elle les a supprimées toutes. En attendant, faisons-nous donner quittance, et allons brûler les titres là où ils sont. »

Sur ce raisonnement, la jacquerie recommence ; à vrai dire, elle est universelle et permanente. Comme dans un corps où les éléments derniers de la substance vivante sont altérés par un trouble organique, on démêle le mal dans les parties qui semblent saines ; là où il n’éclate pas, il est sur le point d’éclater ; une anxiété continuelle, un malaise profond, une fièvre sourde, dénotent sa présence. Ici le débiteur ne paye pas, et le créancier n’ose poursuivre. Ailleurs ce sont des éruptions isolées : à Auxon[1], dans un domaine épargné par

  1. Mercure de France, 7 janvier 1790. (Château d’Auxon, dans