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LA RÉVOLUTION


corps à chaque paroisse ; plusieurs trempent leurs mains dans son sang et s’en barbouillent le visage. Il semble que le tumulte, les clameurs, l’incendie, le vol et le meurtre aient réveillé en eux, non seulement les instincts cruels du sauvage, mais encore les appétits carnassiers de la bête : quelques-uns, saisis par la gendarmerie à Chasselay, avaient fait rôtir l’avant-bras du mort, et le dévoraient à table[1]. — Mme Guillin, sauvée par la compassion de deux habitants, parvient, à travers de grands dangers, à gagner Lyon : elle et ses enfants ont tout perdu, « château, dépendances, récolte de l’année précédente, vins, grains, mobilier, argenterie, argent comptant, assignats, billets, contrats », et, dix jours plus tard, le département avertit l’Assemblée nationale que « les mêmes projets se forment et se combinent encore, que l’on menace (toujours) de brûler les châteaux et les terriers », que là-dessus nul doute n’est permis ni possible : « Les habitants de la campagne n’attendent qu’une occasion pour renouveler ces scènes d’horreur[2]. »

IV

Devant la jacquerie multipliée et renaissante, il n’y a plus qu’à fuir, et les nobles, chassés de la campagne,

  1. Mercure de France, 20 août 1791, article de Mallet du Pan. « La procédure instruite à Lyon a constaté ce festin d’anthropophages. »
  2. La lettre du département finit par cette naïveté ou cette ironie : « Il vous reste une conquête à faire, celle de l’obéissance et de la soumission du peuple à la loi. »