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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


risation du ministre, le soldat va au club, où on lui répète que ses officiers, étant des aristocrates, sont des traîtres ; à Dunkerque, on lui enseigne en plus les moyens de se défaire d’eux. Clameurs, dénonciations, insultes, coups de fusil, ce sont là les procédés naturels, et on les pratique ; mais il en est un autre, récemment découvert, pour chasser un officier énergique et redouté. On se procure un bretteur patriote qui vient le provoquer. Si l’officier se bat et n’est pas tué, la municipalité le traduit en justice, et ses chefs le font partir avec ses seconds, « pour ne pas troubler l’harmonie du militaire et du citoyen ». S’il refuse le duel proposé, le mépris de ses soldats l’oblige à quitter le régiment. Ainsi, dans les deux cas, on est débarrassé de lui[1]. — Point de scrupule à son endroit : présent ou absent, on est sûr qu’un officier noble conspire avec ses camarades émigrés ; là-dessus une légende s’est bâtie. Jadis, pour prouver que l’on jetait les sacs de farine à la rivière, les soldats alléguaient que ces sacs étaient liés avec des cordons bleus. À présent, pour croire qu’un officier conspire avec Coblentz, il suffit de constater qu’il monte un cheval blanc ; tel capitaine, à Strasbourg, manque d’être écharpé pour ce crime : « le diable ne leur ôterait pas de la tête qu’il fait le métier d’espion, et que la petite levrette » qui l’accompagne dans ses promenades « sert pour donner des signaux ». — Un an après, au moment où l’Assemblée nationale achève

  1. Dampmartin, I, 219 et 222. — Mercure de France, 3 septembre 1791 (séance du 23 août) ; cf. Moniteur (même date). — L’Ancien régime, II, 276.