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LA RÉVOLUTION


tique, un capitaine de gendarmerie, un souverain local et indépendant : la tête lui tourne dans un pareil office. — Parmi ces gens qui semblent avoir perdu la raison, il n’en est qu’un, officier de la garde nationale, qui conserve son sang-froid ; du reste, personnage très poli, d’excellente tenue, causeur agréable, qui vient le soir rassurer les détenus et prendre avec eux du thé dans leur prison ; en effet, il a l’habitude des tragédies, et, grâce à son métier, ses nerfs sont devenus calmes : c’est le bourreau. Les autres, « qu’on prendrait pour des tigres », sont des moutons affolés ; mais ils n’en sont pas moins dangereux ; car, emportés par le vertige, ils foncent de toute leur masse sur tout ce qui leur porte ombrage. — Sur la route de Paris à Lyon[1], les commissaires de Roland sont témoins de cet effarement terrible. « Le peuple se demande sans cesse ce que font nos généraux et nos armées ; il a souvent le mot de vengeance à la bouche. Oui, dit-il, nous partirons, mais (auparavant) nous purgerons l’intérieur. » — Quelque chose d’effroyable se prépare : la septième jacquerie va venir, celle-ci universelle et définitive, d’abord brutale, puis légale et systématique, entreprise et exécutée en vertu de principes abstraits par des meneurs dignes de leurs manœuvres. Il n’y eut jamais rien d’égal en histoire ; pour la première fois, on va voir des brutes devenues folles travailler en grand et longtemps sous la conduite de sots devenus fous.

  1. Archives nationales, F7, 3225. Lettre du citoyen Bonnemant, commissaire, au ministre Roland, 11 septembre 1792.