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LA RÉVOLUTION


l’Assemblée qui a fait la poussière a préparé aussi le pilon. Aussi maladroite pour construire que pour détruire, elle invente, pour remettre l’ordre dans une société bouleversée, une machine qui, à elle seule, mettrait le désordre dans une société tranquille. Ce n’était point trop du gouvernement le plus absolu et le plus concentré pour opérer sans trouble un tel nivellement des rangs, une telle décomposition des groupes, un tel déplacement de la propriété. À moins d’une armée bien commandée, obéissante et partout présente, on ne fait point pacifiquement une grande transformation sociale ; c’est ainsi que le tsar Alexandre a pu affranchir les paysans russes. — Tout au rebours, la Constitution nouvelle[1] réduit le roi au rôle de président honoraire, suspect et contesté d’un État désorganisé. Entre lui et le corps législatif elle ne met que des occasions de conflit et supprime tous les moyens de concorde. Sur les administrations qu’il doit diriger, le monarque n’a point de prise, et du centre aux extré-

  1. Sur l’absurdité de la Constitution, les contemporains impartiaux et compétents sont unanimes.

    « La Constitution était un vrai monstre. Il y avait trop de monarchie pour une république et trop de république pour une monarchie. Le roi était un hors-d’œuvre ; il était partout en apparence et n’avait aucun pouvoir réel. » (Dumont, 339.)

    « La Conviction générale et presque universelle est que cette Constitution est inexécutable. Du premier jusqu’au dernier, ceux qui l’ont faite la condamnent. » (G. Morris, 30 septembre 1791.)

    « Chaque jour montre plus clairement que leur nouvelle Constitution n’est bonne à rien. » (id., 27 décembre 1791.)

    Cf. le discours si judicieux et prophétique de Malouet (5 août 1791 ; Buchez et Roux, XI, 237).