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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


meurtris, assommés et traînés en prison pour s’être offerts à la municipalité en qualité de constables volontaires. Le 14 novembre, à Montpellier, c’est le triomphe des tape-dur, huit hommes et femmes tués dans les rues ou à domicile, tous les modérés désarmés ou en fuite. À partir de la fin d’octobre, c’est une gigantesque colonne de fumée et de flamme qui jaillit soudainement et, de semaine en semaine, grandit sur l’autre bord de l’Atlantique, la guerre servile à Saint-Domingue, les bêtes fauves lâchées contre leurs gardiens, 50000 noirs en campagne, et, pour premier début, 1000 blancs assassinés, 15000 nègres tués, 200 sucreries détruites, le dommage évalué à 600 millions, « une colonie qui, à elle seule, valait dix provinces, à peu près anéantie ». À Paris, c’est Condorcet écrivant dans son journal que « ces nouvelles sont apocryphes et n’ont d’autre objet que de créer au roi des Français un empire d’outre-mer où il y aura des maîtres et des esclaves » ; c’est un caporal de la garde nationale qui, de son autorité privée, consigne le roi chez lui de peur qu’il ne se sauve, et défend à la sentinelle de le laisser sortir après neuf heures du soir[1] ; ce sont, aux Tuileries, des orateurs en plein vent qui dénoncent les aristocrates et les prêtres ; c’est, au Palais-Royal, un pandémonium de luxure publique et de déclamations incendiaires[2] ; ce sont, dans tous les quar-

  1. Moniteur, XIII, 200. Rapport de Sautereau, 20 juillet, sur l’affaire du caporal Lebreton (11 novembre 1791).
  2. Saint-Huruge est le principal ténor. Justine paraît au Palais-Royal vers le milieu de 1791 ; on y expose deux prétendus sau-