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LA RÉVOLUTION


circonstances qui ne se sont assemblées qu’une seule fois.

Pourtant, ni l’amour-propre exagéré ni le raisonnement dogmatique ne sont rares dans l’espèce humaine. En tout pays, ces deux racines de l’esprit jacobin subsistent indestructibles et souterraines. Partout elles sont comprimées par la société établie. Partout elles tâchent de desceller la vieille assise historique qui pèse sur elles de tout son poids. Aujourd’hui comme autrefois, dans des mansardes d’étudiants et dans des garnis de bohèmes, dans des cabinets déserts de médecins sans clients et d’avocats sans causes, il y a des Brissot, des Danton, des Marat, des Robespierre, des Saint-Just en germe ; mais, faute d’air et de place au soleil, ils n’éclosent pas. À vingt ans, quand un jeune homme entre dans le monde, sa raison est froissée en même temps que son orgueil. — En premier lieu, quelle que soit la société dans laquelle il est compris, elle est un scandale pour la raison pure : car ce n’est pas un législateur philosophe qui l’a construite d’après un principe simple ; ce sont des générations successives qui l’ont arrangée d’après leurs besoins multiples et changeants. Elle n’est pas l’œuvre de la logique, mais de l’histoire, et le raisonneur débutant lève les épaules à l’aspect de cette vieille bâtisse dont l’assise est arbitraire, dont l’architecture est incohérente, et dont les raccommodages sont apparents. — En second lieu, si parfaites que soient les institutions, les lois et les mœurs, comme elles l’ont précédé, il ne les a point consenties ; d’autres, ses prédécesseurs, ont choisi