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LA RÉVOLUTION


« l’incalculable activité d’une semblable machine chez une nation loquace où la fureur d’être quelque chose domine sur toutes les autres affections ; où la vanité a plus de faces qu’il ne brille d’étoiles au firmament ; où les réputations ne coûtaient déjà que la peine de répéter souvent qu’on les méritait ; où la société se trouvait partagée entre les êtres médiocres et leurs prôneurs qui les divinisaient ; où si peu de gens sont contents de leur situation ; où le marchand du coin est plus glorieux de son épaulette que le grand Condé ne l’était de son bâton de commandement ; où l’on s’agite perpétuellement sans moyens comme sans objet ; où, du frotteur au dramaturge, de l’académicien à l’innocent qui barbouille la feuille du soir, du courtisan bel esprit à son laquais philosophe, chacun refait Montesquieu avec la suffisance d’un enfant qui se croit savant en commençant à lire ; où l’amour-propre de la dispute, de l’ergoterie et du sophisme a tué toute conversation sensée ; où l’on ne parle que pour enseigner, sans se douter qu’il faut se taire pour apprendre ; où les triomphes de quelques fous ont fait sortir de leurs loges tous les cerveaux timbrés ; où, lorsqu’on a combiné deux sottises d’après un livre qu’on n’a pas compris, on se donne des principes ; où les escrocs parlent de morale, les femmes perdues de civisme, et les plus infâmes des humains de la dignité de l’espèce humaine ; où le valet affranchi d’un grand seigneur s’appelle Brutus ! » — Effectivement, il est Brutus à ses propres yeux à l’occa-