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LES JACOBINS


sion, il le sera tout à fait, surtout contre son dernier maître : ce n’est qu’un coup de pique à donner. En attendant qu’il fasse les actions du rôle, il en dit les paroles, il s’échauffe par ses tirades ; à la place de son bon sens, il n’a plus que les mots ronflants du jargon révolutionnaire, et la déclamation, achevant l’œuvre de l’utopie, allège son cerveau de son dernier lest.

Ce ne sont pas seulement les idées que le nouveau régime a dérangées, ce sont aussi les sentiments qu’il dérègle. « Du château de Versailles et de l’antichambre des courtisans, l’autorité a passé, sans intermédiaire et sans contre-poids, dans les mains des prolétaires et de leurs flatteurs[1]. » Brusquement tout le personnel de l’ancien gouvernement a été écarté ; brusquement l’élection universelle en a installé un autre, et les places n’ont point été données à la capacité, à l’ancienneté, à l’expérience, mais, à la suffisance, à l’intrigue et à l’exagération. Non seulement les droits légaux ont été nivelés, mais les rangs naturels ont été transposés ; l’échelle sociale, renversée, a été replantée le bas en haut, et le premier effet de la régénération promise « a été de substituer, dans la gestion des affaires publiques, des avocats aux magistrats, des bourgeois aux ministres d’État, des ci-devant roturiers aux ci-devant nobles, des citoyens à des soldats, des soldats à des officiers, des officiers à des généraux, des curés à des évêques, des vicaires à des curés, des moines à des vicaires,

  1. Mercure de France, n° du 30 décembre 1791 et du 7 avril 1792.