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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


des yeux un chien tombé dans la Seine. Tout cela fera un corps qui, sans y penser, suivra sa tête. À cinq heures du matin, le 20 juin, dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel, des rassemblements sont déjà formés, gardes nationaux, piquiers, canonniers avec leurs canons, gens armés de sabres ou de bâtons, enfants et femmes. — À la vérité, une affiche qui vient d’être posée sur les murs interdit le rassemblement, et des officiers municipaux en écharpe viennent sommer ou supplier la foule de ne pas violer la loi[1]. Mais, dans un cerveau populaire, les idées sont aussi tenaces que courtes. On a compté sur une procession civique, on s’est levé matin pour la faire ; les canons sont attelés, le Mai chargé sur une voiture ; tout est préparé pour la cérémonie ; on s’est donné congé, on ne veut pas rentrer chez soi. D’ailleurs, on n’a que de bonnes intentions ; on sait la loi aussi bien que les municipaux ; on ne s’est « armé que pour la faire respecter et observer ». Enfin, d’autres pétitionnaires armés ont déjà défilé devant l’Assemblée nationale ; on les vaut bien, et, « la loi étant égale pour tous », puisqu’ils ont été admis, on sera admis. En tout cas, on demandera permission à l’Assemblée ; on y va exprès pour cela. Dernier argument et le plus beau de tous : pour prouver aux municipaux qu’on ne veut pas faire d’émeute, on les prie de marcher avec l’émeute.

  1. Rapports des officiers municipaux Perron (7 heures du matin), Sergent (8 heures du matin), Mouchet, Guiard et Thomas (9 heures du matin).