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LA RÉVOLUTION


périeux et sombre, le Charles IX farouche et sournois qu’ils sifflent au théâtre. Ils voient un homme un peu gros, d’une physionomie placide et bienveillante, que l’on prendrait, s’il n’avait son cordon bleu, pour un bourgeois pacifique[1] ; à ses côtés, ses ministres, trois ou quatre hommes en habit noir, honnêtes gens et bons employés, ont l’air de ce qu’ils sont ; dans une autre embrasure de fenêtre est sa sœur, Mme Élisabeth, jeune figure douce et pure. Ce prétendu tyran est un homme comme les autres ; il parle posément, il dit que la loi est pour lui, et personne ne dit le contraire ; il a peut-être moins de torts qu’on n’a cru. Si seulement il voulait devenir patriote ! — Une femme est là qui brandit une épée surmontée d’une cocarde ; il fait un geste, on lui passe l’épée, il la lève en criant avec la foule : Vive la nation ! Voilà déjà un bon signe. — Un bonnet rouge oscille en l’air au bout d’une perche ; quelqu’un le lui présente, il le met sur sa tête, les applaudissements écla-

  1. Même effet de l’impression produite par la reine. Prudhomme dans son journal l’appelle « la panthère autrichienne », et ce mot exprime bien l’opinion des faubourgs. — « Une fille s’arrête devant elle et vomit cent imprécations. La reine lui dit : Vous ai-je jamais fait quelque mal personnel ? — Non, mais c’est vous qui faites le malheur de la nation. — On vous a trompée, reprit la reine ; j’ai épousé le roi de France, je suis la mère du dauphin, je suis Française ; je ne reverrai jamais mon pays, je ne puis être heureuse ou malheureuse qu’en France ; j’étais heureuse quand vous m’aimiez. » — Voilà la fille qui pleure : « Ah ! madame, pardonnez-moi, je ne vous connaissais pas, je vois que vous êtes bien bonne. » — Mais Santerre veut arrêter l’émotion et s’écrie : « Cette fille est soûle. » (Mme Campan, II, 114. — Rapport de Mandat, chef de légion.)