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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


et de Bertier, depuis chassé de son bataillon, le troisième, un fort de la halle, qui, « pendant plus d’une heure », armé d’un sabre, fait des efforts terribles pour percer jusqu’au roi[1]. — Rien n’y fait : sous toutes les menaces, le roi demeure impassible. À un grenadier qui veut le rassurer, il prend la main, et l’appuie sur sa poitrine en disant : « Voyez si c’est là le mouvement d’un cœur agité par la crainte[2] ». À Legendre et aux exaltés qui le somment de sanctionner, il répond sans s’émouvoir : « Je ne me suis jamais écarté de la Constitution… Je ferai ce que la Constitution et les décrets m’ordonnent de faire… Vous vous écartez de la loi. » — Et, pendant près de trois heures, toujours debout et bloqué sur sa banquette[3], il persiste sans donner un seul signe de faiblesse ou de colère. — À la longue ce sang-froid fait son effet, et l’impression des spectateurs n’est point du tout celle qu’ils attendaient. Car, bien manifestement, le personnage qu’ils ont devant eux n’est pas le monstre qu’on leur a dépeint, un tyran im-

  1. Mme Campan, Mémoires, II, 212 : « M. Vannot, commandant de bataillon, avait détourné l’arme d’un scélérat, dirigée contre la personne du roi. Un grenadier des Filles-Saint-Thomas para un coup d’épée dont la direction annonçait le même dessein. »
  2. Déclaration de La Chesnaye, chef de légion. — Moniteur, XII, 719, séance du 20 juin au soir. Discours de M. Alos, témoin oculaire. — (Le roi fit deux fois ce geste, en prononçant à peu près les mêmes paroles, la première fois aussitôt après l’irruption de la foule, la seconde fois probablement après la harangue de Vergniaud.)
  3. L’estampe des Révolutions de Paris le représente assis et séparé de la foule par un intervalle vide ; c’est un mensonge de parti.