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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


désordre de l’émeute. — Sous les menaces des canonniers jacobins qui sont restés avec leurs pièces dans l’intérieur des cours, les concierges ouvrent les portes. Les insurgés se précipitent, fraternisent avec les canonniers, arrivent jusque dans le vestibule, montent le grand escalier et somment les Suisses de se rendre[1]. — Ceux-ci ne sont point hostiles : plusieurs, en signe de bonne amitié, jettent des paquets de cartouches par les fenêtres ; quelques-uns même se laissent embrasser et emmener. Mais le régiment, fidèle à sa consigne, ne souffre pas qu’on le force[2]. « Nous sommes Suisses, répond le sergent Blaser, et les Suisses n’abandonnent leurs armes qu’avec la vie. Nous ne croyons pas avoir mérité un tel affront. Si l’on ne veut plus du régiment, qu’on le renvoie légalement. Mais nous ne quitterons pas notre poste et nous ne nous laisserons pas désarmer. » — Pendant trois quarts d’heure, sur l’escalier et dans le vestibule, les deux troupes restent ainsi face à face et presque mêlées, l’une silencieuse, l’autre agitée, tumultueuse, et agissante, avec tout l’emportement

  1. Lavalette, Mémoires, I, 81, « Là, nous trouvâmes le grand escalier barré par une sorte de poutre placée en travers, et défendu par plusieurs officiers suisses qui disputaient poliment le passage à une cinquantaine de furieux dont l’habillement affecté ressemblait beaucoup à celui des brigands de nos mélodrames. Ils étaient ivres, et l’accent de leur grossier langage, leurs jurements bizarres, signalaient la ville de Marseille qui les avait vomis. »
  2. Mortimer-Ternaux, II, 314, 317 (interrogatoire de M. de Diesbach). « Ils reçurent l’ordre de ne tirer que lorsqu’on leur en donnerait le commandement, et de ne pas tirer que la garde nationale n’en eût donné l’exemple. »