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LA RÉVOLUTION


et toute l’indiscipline d’un rassemblement populaire, chaque insurgé opérant à part et à sa façon pour débaucher, intimider ou contraindre les Suisses. Granier de Marseille, au haut de l’escalier, en tient deux bras dessus, bras dessous, et tâche amicalement de les entraîner[1]. Au bas de l’escalier, la foule vocifère et menace ; des débardeurs, armés de crocs, harponnent les sentinelles par leur fourniment, et en ramènent cinq à eux, comme des poissons, parmi des éclats de rire. — À ce moment part un coup de pistolet, sans qu’on puisse dire de quel côté il est parti[2]. Les suisses font un feu plongeant, nettoient le vestibule et les cours, s’élancent sur la place, prennent deux canons ; les insurgés fuient à la débandade et hors de portée. Pourtant les plus braves se rallient derrière le rentrant des maisons du Carrousel, jettent des gargousses dans les petits bâtiments des cours, y mettent le feu. Pendant une demi-heure encore, sous l’épaisse fumée de la première décharge et de l’incendie, des deux côtés on tire presque au hasard, et les Suisses, bien loin d’être forcés, ont à peine perdu quelques hommes, lorsqu’un messager du roi, M. d’Hervilly, vient de sa part leur ordonner de cesser le feu et de rentrer dans leurs casernes.

Lentement, régulièrement, ils forment leurs rangs et

  1. Buchez et Roux, XVI, 443. Récit de Pétion. — Peltier, Histoire du 10 août.
  2. M. de Nicolay écrit le lendemain, 11 août : « Les fédérés tirèrent les premiers ; alors (il y eut) un moment de fusillade très vive des fenêtres du château. ». (Le Comte de Fersen et la cour de France, II, 347.)