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LA RÉVOLUTION


publics de toute espèce et de toute origine. Partout les autorités ont été contraintes de tolérer ou d’excuser le meurtre, le pillage et l’incendie, à tout le moins l’insurrection et la désobéissance. Depuis deux ans, un maire court risque d’être pendu lorsqu’il proclame la loi martiale ; un commandant n’est pas sûr de ses hommes quand il marche pour protéger la perception d’un impôt ; un juge est insulté et menacé sur son siège s’il condamne les maraudeurs qui dévastent les forêts de l’État. À chaque instant, le magistrat chargé de faire respecter la justice est obligé de donner ou de laisser donner une entorse à la justice ; s’il s’obstine, un coup de main monté par les Jacobins du lieu fait plier son autorité légale sous leur dictature illégale, et il faut qu’il se résigne à être leur complice ou leur jouet. Un tel rôle est intolérable pour les gens qui ont du cœur ou de la conscience. C’est pourquoi, en 1790 et 1791, presque tous les hommes considérés et considérables qui en 1789 siégeaient aux hôtels de ville ou commandaient les gardes nationales, gentilshommes de province, chevaliers de Saint-Louis, anciens parlementaires, haute bourgeoisie, gros propriétaires fonciers, rentrent dans la vie privée et renoncent aux fonctions publiques, qui ne sont plus tenables. Au lieu de s’offrir aux suffrages, ils s’y dérobent, et le parti de l’ordre, bien loin de nommer les magistrats, ne trouve plus même de candidats.

Par un surcroît de précautions, on a frappé d’incapacité légale ses chefs naturels, et d’avance on a interdit