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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


bon sens les volontés indécises, et, en maint endroit, des machines encore plus puissantes se sont appliquées violemment sur les élections. À Paris, on a voté en pleine boucherie et pendant tout le cours de la boucherie, sous les piques des exécuteurs et sous la conduite des entrepreneurs. À Meaux et à Reims, les électeurs en séance ont pu entendre les cris des prêtres qu’on égorgeait. À Reims, les massacreurs ont eux-mêmes intimé à l’assemblée électorale l’ordre d’élire leurs candidats, Drouet, le fameux maître de poste, et Armonville, un cardeur de laine ivrogne ; sur quoi la moitié de l’assemblée s’est retirée, et les deux candidats des assassins ont été élus. À Lyon, deux jours après le massacre, le commandant jacobin écrit au ministre : « La catastrophe d’avant-hier met les aristocrates en fuite et nous assure la majorité dans Lyon[1]. » Du suffrage universel soumis à tant de triages, foulé par une si rude pression, chauffé et filtré dans l’alambic révolutionnaire, les opérateurs tirent ce qu’ils veulent, un extrait concentré, une quintessence de l’esprit jacobin.

Au reste, si l’extrait obtenu ne leur semble pas assez fort, là où ils sont souverains, ils le rejettent et recommencent l’opération. — À Paris[2], au moyen d’un scrutin

    contre-révolutionnaire d’Arles, il faut le pendre ! » On avait en effet arrêté sur la place un Arlésien, on l’avait amené dans l’assemblée et l’on descendait une lampe pour l’accrocher. »

  1. Mortimer-Ternaux, III, 358. — Sybel, Histoire de l’Europe pendant la Révolution française (traduction Dosquet), I, 525. (Correspondance de l’armée du Sud, lettre de Charles de Hesse commandant des troupes de ligne à Lyon.)
  2. Mortimer-Ternaux, V, 101, 122 et suivantes.