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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


décence et même des goûts d’élégance. Ils ne savent ni ne veulent imiter les façons rudes de Danton, ses gros mots, ses jurons, ses familiarités populacières. Ils ne sont point allés, comme Robespierre, se loger chez un maître menuisier, pour y vivre et manger avec la famille. Aucun d’eux ne « s’honore », comme Pache, ministre de la guerre, « de descendre dîner chez son portier » et d’envoyer ses filles au club pour donner le baiser fraternel à des Jacobins ivres[1]. Il y a un salon, quoique pédant et raide, chez Mme Roland. Barbaroux adresse des vers à une marquise qui, après le 2 juin, le suivra à Caen[2]. Condorcet a vécu dans le grand monde, et sa femme, ancienne chanoinesse, a les grâces, le sérieux, l’instruction, la finesse d’une personne accomplie. De tels hom-

    (Meillan, Mémoires, 323. Discours de Fabre d’Églantine aux Jacobins, à propos de l’adresse de la Commune pour demander l’expulsion des Vingt-Deux) : « Vous avez quelquefois régenté le peuple, vous avez même quelquefois cherché à le caresser ; mais ces caresses portaient alors ce caractère de sécheresse et de répugnance aristocratique auquel on n’a jamais pu se méprendre. Votre système de patriotes bourgeois a toujours percé dans vos paroles et dans vos actes ; vous ne vouliez pas vous mêler au peuple. En un mot, voici votre doctrine : le peuple, après avoir servi dans les révolutions, doit rentrer dans la poussière, ne plus être compté pour rien, et se laisser conduire par ceux qui en savent plus que lui et veulent bien se donner la peine de le mener. Vous, Brissot, et vous surtout, Pétion, vous nous avez reçus avec morgue, avec hauteur, avec distance. Vous nous tendiez un doigt, jamais la main ; vous ne vous êtes pas même interdit cette volupté des ambitieux, l’insolence et le dédain. »

  1. Buzot, Mémoires, 78.
  2. Edmond Biré, la Légende des Girondins. (Fragments inédits des Mémoires de Pétion et de Barbaroux, cités par Vatel dans Charlotte Corday et les Girondins, III, 471, 478.)