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LA RÉVOLUTION


sectaire et ne connaît point de scrupules. Peu lui importe que neuf électeurs sur dix n’aient pas voté : il se croit le représentant autorisé des dix. Peu lui importe que la grande majorité des Français soit pour la Constitution de 1791 : il prétend leur imposer la sienne. Peu lui importe que ses anciens adversaires, roi, émigrés, insermentés, soient des gens honorables ou du moins excusables : il prodiguera contre eux toutes les rigueurs légales, la déportation, la confiscation, la mort civile, la mort physique[1]. À ses propres yeux, il est justicier, et son investiture lui vient de la justice éternelle : rien de plus pernicieux chez l’homme que cette infatuation de droit absolu ; rien de plus propre à démolir en lui l’édifice héréditaire des notions morales. — Mais, dans l’enceinte étroite de leur dogme, les Girondins sont conséquents et sincères : ils comprennent leurs formules ; ils savent en déduire les conséquences ; ils y croient, comme un géomètre à ses théorèmes et comme un théologien à ses articles de foi ; ils veulent les appliquer, faire la Constitution, établir un gouvernement régulier, sortir de l’état barbare, mettre fin aux coups de main de la rue, aux pillages, aux meurtres, au règne de la force brutale et des bras nus.

D’ailleurs le désordre, qui leur répugne à titre de logiciens, leur répugne encore à titre d’hommes cultivés et polis. Ils ont des habitudes de tenue[2], des besoins de

  1. Sur la part qu’ont prise les Girondins à toutes ces mesures odieuses, cf. Edmond Biré, la Légende des Girondins.
  2. Ce caractère est très bien marqué dans les reproches que leur fait le parti populaire, par la bouche de Fabre d’Églantine.