Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 6, 1904.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
156
LA RÉVOLUTION


zélé de partisans fidèles. Car, si la grande majorité est contre leurs adversaires, elle n’est pas pour eux ; dans le secret du cœur, elle est restée « constitutionnelle[1] ». — « Je voudrais, dit un observateur de profession, me rendre maître de Paris en huit jours et sans coup férir, si j’avais six mille hommes et un valet d’écurie de La Fayette pour les commander. » Effectivement, depuis que les royalistes sont partis ou se cachent, c’est La Fayette qui représente le mieux l’opinion intime, ancienne et fixe de la capitale. Paris subit les Girondins comme les Montagnards, à titre d’usurpateurs ; la grosse masse du public leur tient rancune, et ce n’est pas seulement la bourgeoisie, c’est aussi la majorité du peuple qui répugne au régime établi.

L’ouvrage manque, toutes les denrées sont chères ; l’eau-de-vie a triplé de prix ; il ne vient au marché de Poissy que quatre cents bœufs, au lieu de sept ou huit mille ; les bouchers disent que la semaine suivante il n’y aura plus de viande à Paris, sauf pour les malades[2]. Pour obtenir une mince ration de pain, il faut faire queue, pendant cinq ou six heures, à la porte des

  1. Buzot, Mémoires, 33 : « La majorité du peuple français soupirait après la royauté et la Constitution de 1791. C’est à Paris surtout que ce vœu était le plus général… Ce peuple est républicain à coups de guillotine… Tous les vœux, toutes les espérances se portent vers la Constitution de 1791. » — Schmidt, I, 232 (Dutard, 16 mai). Dutard, ancien avoué, ami de Garat, est un de ces hommes rares qui voient les choses à travers les mots ; perspicace, énergique, actif, il abonde en conseils pratiques, et mériterait d’avoir un autre chef que Garat.
  2. Schmidt, Ib., I, 173, 179 (1er mai 1793).