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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


révolution elle ne paye plus ou presque plus d’impôts. Là-dessus son idée est faite, fixe, inébranlable ; sitôt qu’elle aperçoit dans le lointain le rétablissement possible de la taille, de la dîme et des droits seigneuriaux, son parti est pris : elle se bat à mort. — Quant aux artisans et petits bourgeois, ils ont pour stimulant la grandiose perspective de la carrière ouverte à deux battants, de l’avancement illimité, des grades offerts au mérite ; mais surtout leurs illusions sont encore intactes. Là-bas, au camp, devant l’ennemi, les nobles idées générales, qui, entre les mains des démagogues parisiens, sont devenues des prostituées sanguinaires, restent des vierges pures dans l’imagination de l’officier et du soldat. Liberté, égalité, droits de l’homme, avènement de la raison, toutes ces vagues et sublimes images flottent devant leurs yeux quand ils gravissent sous la mitraille l’escarpement de Jemmapes, ou quand ils hivernent, pieds nus, dans la neige des Vosges. Elles ne se sont pas souillées et déformées sous leurs pas, en tombant du ciel en terre ; ils ne les ont pas vues se changer dans leurs mains en hideuses caricatures. Ils ne font point le sale ménage quotidien de la politique et de la guillotine. Ils ne sont pas des piliers de club, des braillards de section, des inquisiteurs de comité, des dénonciateurs à prime, des pourvoyeurs de l’échafaud. Hors du sabbat révolutionnaire, ramenés au sens commun par la présence du danger, ayant compris l’inégalité des talents et la nécessité de l’obéissance, ils font œuvre d’hommes, ils pâtissent, ils jeûnent, ils affrontent