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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


subsistants de politesse innée. Tel, fort de la Halle, voulant embrasser un prisonnier absous, commence par lui en demander permission ; des « mégères », qui battaient des mains aux meurtres précédents, arrêtent « avec violence » les gardes qui, sans précaution, font marcher Weber en bas de soie blancs à travers les flaques rouges : « Prenez donc garde, vous faites marcher monsieur dans le ruisseau[1] ! » Bref, ils ont les qualités permanentes de leur race et de leur classe ; il ne semble pas que, parmi leurs pareils, ils soient au-dessous ou en dehors du niveau moyen, et probablement la plupart d’entre eux n’auraient jamais rien fait d’énorme, si une police exacte, comme celle qui maintient l’ordre en temps ordinaire, les avait retenus dans leur atelier, dans leur guinguette ou dans leur garni.

Mais, à leurs propres veux, ils sont rois ; « la souveraineté leur est commise[2] », leurs pouvoirs sont illimités ; quiconque en doute est un traître, son supplice est juste, sa mort est urgente, et, pour conseillers de leur règne, ils ont pris les fous et les drôles qui, par monomanie ou calcul, leur prêchent tout cela : de même un roi nègre, entouré de négriers blancs qui le poussent aux razzias et de sorciers noirs qui le poussent aux massacres. Avec de tels guides et dans un tel office, comment un tel homme

  1. Weber, II, 264, 348.
  2. Sicard, 101. Paroles de Billaud-Varennes aux égorgeurs. — Ib., 75 : « De plus grands pouvoirs, répondit un membre du comité de surveillance, vous n’y pensez pas ! Vous en donner de plus grands serait borner ceux que vous avez déjà. Oubliez-vous que vous êtes souverains, puisque la souveraineté du peuple vous est confiée et que vous l’exercez en ce moment ? »