Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
135
LE PROGRAMME JACOBIN


distes, font de la Raison une divinité et lui rendent un culte ; mais, manifestement, ils personnifient une abstraction ; leur déesse improvisée n’est qu’un fantôme allégorique ; aucun d’eux ne voit en elle la cause intelligente du monde ; au fond du cœur, ils nient cette cause suprême, et leur prétendue religion n’est que l’irréligion affichée ou déguisée. — Nous écartons l’athéisme, non seulement comme faux, mais encore et surtout comme dissolvant et malsain[1]. Nous voulons une religion effective, consolante et fortifiante : c’est la religion naturelle, qui est sociale autant que vraie, « Sans elle[2], comme l’a dit Jean-Jacques, il est impossible d’être bon citoyen… L’existence de la Divinité, la vie à venir, la sainteté du contrat social et des lois », voilà tous ses dogmes ; « on ne peut obliger personne à les croire ; mais celui qui ose dire qu’il ne les croit pas se lève contre le peuple français, le genre humain et la nature. » En conséquence, nous décrétons que « le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme ». — Cette religion toute philosophique, il importe maintenant de l’implanter dans les cœurs. Nous l’introduisons dans l’état civil, nous ôtons le calendrier à l’Église, nous le purgeons de toutes les images

  1. Buchez et Roux, XXXII, 364 (Rapport de Robespierre, 18 floréal an II).
  2. Ib., 385. Discours d’une députation de Jacobins à la Convention, 27 floréal an II. — (Raconté par Gustave Flaubert d’après des souvenirs de famille.) À Bayeux, la jeune fille qui représentait la Liberté portait sur la poitrine ou sur le dos l’inscription suivante : « Ne me tournez pas en licence. »