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LA RÉVOLUTION


l’homme à ses mœurs privées, à ses usages héréditaires, à ses manières extérieures. D’ailleurs, elle ne froissait qu’avec précaution et mesure les autres fibres très sensibles, celles par lesquelles il tient à sa propriété, à son bien-être, à son rang social. De cette façon, les ménagements atténuaient la résistance, et l’entreprise, même malfaisante, n’était point absurde. On pouvait l’accomplir ; il suffisait pour cela d’avoir en main une puissance égale à la résistance qu’on provoquait.

Et d’autre part, cette puissance, on l’avait en main. Derrière le prince, pour travailler avec lui et contre-peser la résistance offerte, il y avait des bras, et des bras très nombreux ou des bras très robustes. — Derrière Philippe II ou Louis XIV, pour pousser ou consentir à l’oppression des dissidents, il y avait la majorité catholique, aussi fanatique, ou aussi peu libérale que son roi. — Derrière Philippe II, Louis XIV, Frédéric II et Pierre le Grand, pour collaborer à presque toutes leurs violences, il y avait la nation unanime, ralliée autour du souverain par son titre consacré et par son droit incontesté, par la tradition et l’habitude, par le sentiment précis du devoir et par l’idée vague du salut public. — Pour auxiliaires, Pierre le Grand comptait tous les hommes éminents et cultivés de son pays ; Cromwell avait son armée disciplinée et vingt fois victorieuse ; le calife ou sultan amenait son peuple privilégié et militaire. — Avec de telles équipes, on soulève de bien pesantes masses ; souvent même on les soulève à demeure. L’opération faite, une sorte d’équilibre s’éta-