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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/223

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LES GOUVERNANTS


l’amputation doit être large. — Avec le coup d’œil sûr du chirurgien, Marat en donne la dimension ; il a fait ses calculs d’avance. En septembre 1792, dans le Conseil de la Commune, il estime par approximation à 40 000 le nombre des têtes qu’il faut abattre[1]. Six semaines plus tard, l’abcès social ayant prodigieusement grossi, le chiffre enfle à proportion : c’est 270 000 têtes qu’il demande[2], toujours par humanité, « pour assurer la tranquillité publique, » à condition d’être chargé lui-même de cette opération, et de cette opération seulement, comme justicier sommaire et temporaire. — Sauf le dernier point, tout le reste lui a été accordé ; il est fâcheux qu’il n’ait pu voir de ses yeux l’accomplissement parfait de son programme, les fournées du Tribunal

  1. Buchez et Roux, XXVIII, 105. Lettre de Chevalier-Saint-Dizier, membre du premier comité de surveillance (10 septembre 1792). — Michelet, II, 94. (En décembre 1790, le chiffre des têtes qu’il demande est déjà de 20 000.)
  2. Moniteur, no du 26 octobre 1792 (séance de la Convention du 24 octobre).
    « N… — Je sais qu’un membre de cette assemblée a entendu dire à Marat que, pour assurer la tranquillité publique, il fallait que 270 000 têtes tombassent encore.
    « Vermon. — Je déclare que Marat a tenu ces propos auprès de moi.
    « Marat. — Eh bien ! oui, oui… C’est mon opinion, je vous le répète. »
    Jusqu’à la fin, il est pour les opérations chirurgicales (no du 12 juillet 1793, veille de sa mort). Il s’agit des contre-révolutionnaires notés : « Pour les empêcher d’entrer dans un nouveau corps (militaire), j’avais proposé dans le temps, comme une mesure indispensable de prudence, de leur couper les oreilles ou plutôt les pouces des mains. » — Marat laisse des adeptes : des députés de la Société populaire de Cette regrettent qu’on n’ait pas suivi ses conseils et abattu 300 000 têtes (Buchez et Roux, XXXII, 186, Séance de la Convention, 4 avril 1794)