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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/258

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LA RÉVOLUTION


« sistible, lorsqu’il est arrivé au Comité de Salut public, il était déjà l’être le plus important de la France. » Au bout de trois ans, un chœur qu’il a formé et qu’il dirige[1], mille voix à l’unisson lui répètent infatigablement sa litanie, son credo intime, l’hymne en trois versets qu’il a composé en son propre honneur et que chaque jour il se récite à voix basse, parfois à voix haute : « Robespierre seul a trouvé la forme idéale du citoyen. Robespierre seul la remplit exactement, sans excès ni lacune. Robespierre seul est digne et capable de conduire la Révolution[2]. » — À ce degré, l’infatuation froide équivaut à la fièvre chaude, et Robespierre arrive aux idées, presque aux visions de Marat.

D’abord, à ses propres yeux, il est, comme Marat, un homme persécuté, et, comme Marat, il se pose en « martyr », mais avec un étalage plus savant et plus contenu, avec l’air résigné, attendri d’une victime pure qui s’offre et monte au ciel en léguant aux hommes le souvenir impérissable de ses vertus[3]. « Je soulève contre moi tous les amours-propres[4], j’aiguise mille

  1. Moniteur, XXII, 115 (séance du 18 vendémiaire an III, discours de Laignelot). « Robespierre tenait dans sa main toutes les sociétés populaires. »
  2. Garat, 85. « Le sentiment qui perçait le plus chez Robespierre, et dont il ne faisait même aucun mystère, c’est que le défenseur du peuple ne peut jamais avoir tort. » — Bailleul (cité dans les Mémoires de Carnot, I, 516) dit : « Il se croyait un être privilégié, mis au monde pour en devenir le régénérateur et l’instituteur. »
  3. Discours du 26 mai 1794 et du 8 thermidor an II.
  4. Buchez et Roux, X, 295, 296 (séance du 22 juin 1791, aux Jacobins). — Ib., 294. — Marat disait de même : « Je me suis fait