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LA RÉVOLUTION


livré au tribunal révolutionnaire, pour être remis à l’exécuteur. — À qui le tour maintenant parmi les onze ? Enlevé à l’improviste, aux applaudissements unanimes de la Convention docile, après trois jours de comédie judiciaire, la charrette le mènera sur la place de la Révolution, Samson le liera, les claqueurs à vingt-quatre sous battront des mains, et, le lendemain, tout le peuple politique se félicitera de voir, sur le bulletin des guillotinés, le nom d’un grand traître[1]. À cet effet, pour que tel ou tel, parmi les rois du jour, passe ainsi de l’Almanach national sur la liste mortuaire, il suffit d’une entente entre ses collègues, et peut-être l’entente est faite. Entre qui et contre qui ? — Certainement, à cette pensée, les onze, assis autour de leur table, s’interrogent des yeux, avec un frémissement ; ils calculent les chances, et se souviennent ; des mots qu’on n’oublie pas ont éclaté. Plusieurs fois Carnot a dit à Saint-Just : « Toi et Robespierre, vous visez à la dictature[2]. »

  1. Dauban, Paris en 1794, 285 et suivantes (Rapports de police de germinal an II). Arrestation d’Hébert et consorts ; « Pendant toute la matinée, on ne parlait que des crimes atroces des conspirateurs, on les regardait (comme mille fois plus criminels que Capet et sa femme, on désirait qu’il y eût pour eux mille supplices… La haine du peuple pour Hébert est à son comble… Le peuple ne peut pardonner à Hébert de l’avoir trompé… La joie du peuple était universelle en voyant conduire à l’échafaud les conspirateurs. »
  2. Moniteur, XXIV, 53 (séance du 2 germinal an III). Paroles de Prieur de la Côte-d’Or : « La première querelle qui eut lieu au Comité fut entre Saint-Just et Carnot ; celui-ci dit à l’autre qu’il voyait bien que lui et Robespierre visaient à la dictature. » — Ib., 570 (séance du 11 germinal an III, paroles de Carnot) : « Je m’étais mis en possession d’appeler Robespierre tyran toutes