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LA RÉVOLUTION


reçu, pour le capitaine qui, chargé par le représentant d’établir telle batterie dans tel délai, a travaillé toute la nuit de toute sa force, « avec autant d’hommes que l’espace en pouvait contenir[1] ». La batterie n’étant pas prête à l’heure dite, Saint-Just envoie le capitaine à la guillotine. — Ce que le souverain a commandé, il ne peut pas le décommander ; à se dédire[2], il s’amoindrirait ; au service de l’omnipotence, l’orgueil est insatiable, et pour l’assouvir nulle barbarie n’est trop grande. — Même appétit chez l’ex-comédien Collot d’Herbois, qui, non plus à la scène, mais à la ville, joue le tyran de mélodrame avec tout le faste de l’emploi. Un matin, à Lyon, il a prescrit au tribunal révolutionnaire d’arrêter, interroger et juger un adolescent suspect, avant la fin de la journée. « Vers les six heures[3], Collot étant à table et en orgie avec des filles, des baladins et des bourreaux, mangeant et buvant au bruit d’une musique choisie, entre un des juges du tribunal ; après les formalités d’usage, on l’introduit à l’oreille du représentant ; il lui annonce que, le jeune homme arrêté, interrogé, et les plus sévères informations prises sur son compte, il se trouve irréprochable, et que le tribunal opine à

    Just dit à Schneider : « À quoi bon tant de cérémonies ? Ne connais-tu pas les crimes des aristocrates ? Dans les vingt-quatre heures que tu perds à une enquête, on pourrait prononcer vingt-quatre condamnations. »

  1. Journal de marche du sergent Fricasse, 34 (Récit du maréchal Soult).
  2. Cf. dans la Bible l’histoire d’Assuérus qui, par respect pour sa propre majesté, ne peut rétracter son ordre contre les Juifs, mais pare à la difficulté en leur permettant de se défendre.
  3. Mallet du Pan, II, 47.