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LES GOUVERNANTS


aura besoin de frapper ; nul autre besoin chez Saint-Just. Silencieux, impassible, tenant les autres à distance, aussi impérieux que si la volonté du peuple unanime et la majesté de la raison transcendante résidaient en sa personne, il semble avoir réduit ses passions à l’envie de briser et d’épouvanter. On dirait que, pareil aux conquérants tartares, il mesure la grandeur qu’il se confère à la grandeur des abatis qu’il fait : nul autre n’a fauché si largement à travers les fortunes, les libertés et les vies ; nul autre n’a mieux rehaussé l’effet terrifiant de ses jonchées par le laconisme de sa parole et par la soudaineté de ses coups. Ordre d’arrêter et de mettre au secret tous les ci-devant nobles, hommes et femmes, de quatre départements, dans les vingt-quatre heures ; ordre à la bourgeoisie de Strasbourg de verser neuf millions dans les vingt-quatre heures ; dix mille personnes à Strasbourg déchaussées en douze heures ; fusillades expéditives à tort et à travers sur les officiers de l’armée du Rhin, voilà de ses mesures[1]. Tant pis pour les innocents ; le temps manque pour les discerner : « un aveugle, qui cherche une épingle dans un tas de poussière, saisit le tas de poussière[2]. » — Et, quel que soit l’ordre, même inexécutable, tant pis pour celui qui l’a

  1. Arrêté de Saint-Just et Le Bas pour les départements du Pas-de-Calais, du Nord, de la Somme et de l’Aisne. — Cf. Histoire de l’Alsace par Strœbel, et Recueil de pièces authentiques pour servir à l’histoire de la Révolution à Strasbourg, 3 volumes. — Archives nationales, AF., II, 135. Arrêté du 10 brumaire an II, et liste des cent quatre-vingt-treize personnes taxées.
  2. Buchez et Roux, XXXI, 32 (Paroles de Saint-Just au maire Monet). — Sybel, II, 447, 448. — Dès la première entrevue, Saint-