Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


Pierre-Encize, les superbes maisons de la place Bellecour, celles du quai Saint-Clair, celles des rues de Flandre et de Bourgneuf, quantité d’autres : l’opération coûte 400 000 livres par décade ; en six mois la République dépense quinze millions pour détruire trois ou quatre cents millions de valeurs appartenant à la République[1]. Depuis les Mongols du cinquième et du treizième siècle, on n’avait pas vu des abatis si énormes et si déraisonnables, une telle fureur contre les œuvres les plus utiles de l’industrie et de la civilisation humaines. — Encore, de la part des Mongols, qui étaient nomades, cela se comprend : ils voulaient faire de la terre une grande steppe. Mais démolir une ville dont on maintient l’arsenal et le port, détruire les chefs d’industrie et leurs maisons dans une cité où l’on prétend conserver les ouvriers et les manufactures, garder la source dont on supprime le ruisseau, ou le ruisseau dont on supprime la source, un projet si absurde ne peut entrer que dans le cerveau d’un Jacobin. Son esprit est tellement échauffé et si court, qu’il ne sent pas les contradictions ; la stupidité féroce du barbare s’y rencontre avec l’idée fixe de l’inquisiteur ; il n’y a de place sur la terre que pour lui et pour les orthodoxes de son espèce. Avec une emphase inepte et sinistre, il décrète l’extermination des hérétiques : non seulement leurs monuments et leurs habitations seront anéantis avec leurs personnes, mais encore leurs derniers vestiges seront abolis, et

  1. Mémoires de Fréron, 363 (Lettres de Fréron, 6 nivôse). — Guillon de Montléon, II, 391.