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LES GOUVERNÉS


les diverses prisons et d’y choisir le nombre requis de têtes ; ils inscrivaient les noms à leur fantaisie, et cela faisait une fournée pour la guillotine. — « Quant à moi, disait le juré Vilate, je ne suis jamais embarrassé, je suis toujours convaincu. En révolution, tous ceux qui paraissent devant le tribunal doivent être condamnés. » — À Marseille, la commission Brutus[1], « siégeant sans accusateur public ni jurés, faisait monter de la prison ceux qu’elle voulait envoyer à la mort. Après leur avoir demandé leur nom, leur profession, et quelle devait être leur fortune, on les faisait descendre pour être placés sur une charrette qui se trouvait devant la porte du palais de justice ; les juges paraissaient ensuite sur le balcon, et prononçaient la sentence de mort ». — Même procédé à Cambrai, Arras, Nantes, le Mans, Bordeaux, Nîmes, Lyon, Strasbourg et ailleurs. — Évidemment, le simulacre du jugement n’est qu’une parade ; on l’emploie comme un moyen décent, parmi d’autres moins décents, pour exterminer les gens qui n’ont pas les opinions requises ou qui appartiennent à des classes proscrites[2] ; Samson à Paris et ses collègues en

  1. Berryat-Saint-Prix, 395 (Lettre du représentant Moyse Bayle). — Ib., 216 (Paroles du représentant Le Carpentier à Saint-Malo) : « À quoi bon toutes ces lenteurs ? Où vous mènent ces éternels interrogatoires ? Qu’avez-vous besoin d’en savoir si long ? Le nom, la profession, la culbute, et voilà le procès terminé. » — Il disait publiquement aux délateurs : « Vous ne savez pour quel fait dénoncer les modérés ? Eh bien, sachez qu’un geste, un seul geste me suffit. »
  2. Berryat-Saint-Prix, 466. Lettre de Payan à Roman-Formosa, juge à Orange : « Dans les commissions chargées de punir les conspirateurs, il ne doit exister aucunes formes ; la conscience


  la révolution, vi.
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