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LES GOUVERNÉS


la lèvre supérieure, et il avait déjà sept blessures lorsque, tout jeune encore, il reçut la croix de Saint-Louis. — Servir l’État, aller aux coups, exposer sa vie, cela leur paraissait une obligation de leur rang, une dette héréditaire ; sur neuf ou dix mille officiers qui la payaient, la plupart ne songeaient qu’à s’acquitter, et n’aspiraient à rien au delà. Dénués de fortune et dépourvus de protection, ils avaient renoncé à l’avancement ; ils savaient que les hauts grades étaient pour les héritiers des grandes familles, pour les courtisans de Versailles. Après quinze ou vingt ans de services, ils rentraient au logis avec un brevet de capitaine et la croix de Saint-Louis, parfois avec une petite pension, contents d’avoir fait leur devoir et d’être honorables à leurs propres yeux. Aux approches de la Révolution, leur vieil honneur, éclairé par les idées nouvelles, était devenu presque de la vertu civique[1] : on a vu leur conduite de 1789 à 1792, leur modération, leur longanimité, leurs sacrifices d’amour-propre, leur abnégation et leur impassibilité stoïques, leur répugnance à frapper, la force d’âme avec laquelle ils persistent à recevoir les coups sans les rendre, afin de maintenir, sinon l’ordre public, du moins le dernier simulacre de l’ordre public. Patriotes autant que militaires, par naissance, éducation et condition, ils formaient une pépi-

  1. La Révolution, tome III, 246, tome IV, 214. — Ib., Affaire de M. de Bussy, 183 et suivantes ; affaire des quatre-vingt-deux gentilhommes de Caen, 199. — Voir dans Rivarol (Journal politique national) les détails sur l’admirable conduite des gardes du corps à Versailles le 5 et le 6 octobre 1789.